Comment Stardew Valley et ma chienne m’ont sauvé de la dépression ?

TW : agressions sexuels, depression, mentions d'idées suicidaires, TCA

Ce texte a été écrit en avril 2023 une fois ma depression terminée, j’ai eu besoin de lâcher ces mots quelque part.
C’est un texte brut qui n’est pas voué à être beau, élégant et bien écrit, il m’a servi à poser quelque part mon vécu.

Un récit éloquent par Clémence Dupont, 29 ans, illustratrice et dessinatrice de dinosaures.

Je ne pense pas qu’on puisse me qualifier de la personne la plus “solaire” et souriante qui existe, j’ai toujours été un peu mélancolique et solitaire. Petite, je passais des heures à fixer le plafond juste parce que les histoires qui se passaient dans ma tête étaient bien plus intéressantes que l'extérieur.

J’ai également toujours été une personne stressée, ma mère est pareille, j’aime quand les gens sont à l’heure aux rendez-vous, je déteste être seule alors qu’on m’avait dit que ce ne serait pas le cas, j'exècre de prendre l’avion à cause du stress que cela implique et comme nombre de personnes de ma génération, de simples formalités administratives et appeler un restaurant pour réserver une table pour ce soir suffisent à me plonger dans un état de transpiration excessive.


Donc quand en 2019, j’ai commencé à avoir un rituel pour réussir à sortir de chez moi et à me retrouver roulée en boule en pleurs dans ma douche car je “stressais” pour le travail, je ne me suis pas inquiétée

(Extraits de carnet) (je fumais à l’époque, ça me rendait moins anxieuse)

Harcèlement moral, pression au travail, burn-out, viol,  traumas familiaux, un deuil, des TCA suivaient et n’étaient soignés. J’ai tout mis dans un coffre mental et je me suis assise dessus.

“Rien de bien grave, tout le monde subit ça, personne n’en tombe malade, je ne suis juste pas assez forte”

Le problème a été quand le coffre mental a craqué,  remplis de “mes petits soucis de meuf bizarre, c’est rien” auxquels j’avais ajoutés des peurs et angoisses devenues maladives et un manque de confiance en moi qui a muté en une dépréciation totale de ma personne ce qui me rendait complètement vulnérables à toutes les saloperies (et les salauds) qu’on peut croiser.

Extrait de carnet)

En septembre 2021, j’ai commencé à ne pas aller bien, j’annulais mes sorties au dernier moment et j’étais enfouie sous mon travail.

“Si je travaillais, je n’allais pas penser à ce qui n’allait pas avec moi”

En avril 2022, je rentre d’une semaine isolée dans la forêt où j’animais une retraite créative et je m’écroule : je pleure 4h sur le canapé sans savoir pourquoi, clairement je ne vais pas bien.

(Extrait de carnet, retraite créative parenthèse, avril 2022)

Je prends enfin la décision d’aller voir une psychologue, on s’en fout de l’argent maintenant, ça commence à menacer ma relation amoureuse et mon travail. Je fonds en larmes dans son cabinet en tentant d’expliquer pourquoi je suis là, elle me regarde et me dit ok, bon, qu’on va devoir détricoter tout ça hein.

On enchaine les séances, on passe trop de temps sur des détails insignifiants et on aborde les 3 points que j’estime être la source de mon mal-être : mon passé familial, le manque d’affection et d’attention reçue, mes troubles du comportements alimentaires et ma peur de grossir comme si c’était la fin du monde et et un viol, des agressions sexuelles et mon entrée dans la vie sexuelle et amoureuse completement fucked up par tous les points précédents.

J’apprends que tout ceci est grave, marque un être humain et que ça fait partie du passé désormais, qu’on doit ouvrir le coffre et marcher avec ces fantômes.
Que la tristesse que je ressens, je dois l’accepter, que je ne peux pas combattre mes émotions et que je dois vivre cette vague émotionnelle qui me semble insurmontable.

Elle me dit aussi qu’elle pense que je fais une dépression mais que je ne suis pas dépressive et que tout ceci ne me définit pas, qu’on va travailler et que ça ira mieux après.

ça ne va pas mieux et je continue de plonger.
J’ai le souvenir très précis dans cette période incroyablement brouillardeuse entre mai et septembre, lors d’une balade avec ma chienne de m’être assise au bord de l’eau et d’avoir eu le sentiment agréable qu’il serait plus doux de se laisser glisser au fond de l’eau.
Je me souviens que je ne souhaitais plus être là et que la seule chose qui m'empêchait de partir, c’était que ma chienne allait se retrouver toute seule et qu’on avait passé un pacte elle et moi : en tant qu’humaine avec une espérance de vie plus longue qu’elle, c’était moi qui serait avec elle toute sa vie et pas l’inverse.

Je me souviens avoir reçu des messages gentils comme tout sur ma boutique et que je dissociais complétement en estimant que tous ces gens étaient quand même bien cons de m’acheter ces trucs vu comment c’était de la merde ce que je faisais (déoslée, je ne le pense plus)


Le brouillard continue, je fais des choses et me traîne mais je ne suis pas réellement présente, je travaille toute la journée, en soirée et le week-end car quand je suis inactive, les angoisses reviennent et me paralysent.

J’ai une boule constante dans la gorge, elle m’empêche de manger.


Je me souviens des nuits passées à pleurer, des annulations à la dernière minute et de l’angoisse qui me paralysait.
Je me souviens avoir voulu tout arrêter, tout quitter et tout mettre en œuvre pour ça en arrêtant de répondre aux propositions de travail et en m’isolant complètement.

Septembre 2022, à mon retour de vacances, au moment de reprendre le travail, je tombe malade. Trop bien, ma rentrée est décalée, j’ai une semaine de plus pour me reposer.

Au moment où j’arrive devant mon ordi, je m’écroule et retourne me coucher en pleurant.
Idem le lendemain et je suis vraiment une sale merde de ne pas y arriver aloors que mon boulot consiste à dessiner des dinosaures chez moi, n’importe qui peut le faire.

Dans cette mélasse de mal-être, j’ai une éclaircie et je contacte une amie, organisée ++ à qui je déverse mon état et je prends conscience qu’il n’est pas bon de travailler seule chez moi : je cherche un atelier, j’active tout mes réseaux sociaux en expliquant qu’il s’agit d’une urgence, en une semaine j’ai trouvé et je décèle un espoir.



Entre mes recherches, je replonge et je n’arrive toujours pas à bosser, je ne mange plus que du pain et du houmous industriel et les seules activités de ma journée sont les balades chien et les crises de larmes quotidiennes : je me déteste.

Je réalise que personne ne viendra me chercher et qu’il va falloir passer par la case médicaments, j’ai peur, j’en parle à un ami qui m’explique avec ses mots ce que sont les antidépresseurs et je demande à ma psy une lettre de suivi de dossier pour que mon medecin traitant me prescrive les géllules salvatrices.
Je reçois un mail avec la fameuse lettre et d’y lire les mots “Cette dernière souffre de troubles anxio-dépressifs récurrents” me conforte dans ma réflexion : il y a un souci et je ne peux rien y faire seule.


Dans la salle d’attente du médecin, j’ai peur. Peur qu’on me dise que ce n’est rien, que c’est juste un problème de motivation, que je suis une grosse feignasse qui doit se bouger le cul et que ce mal-être constant qui m’habite reste désormais ma nouvelle norme.


La médecin me met sous anti dépresseurs et anxiolytiques, je commence le traitement le soir même.



Je m’imaginais sortir du brouillard mais j’entre dans un nouveau, les anxiolytique que je prends quotidiennement me tabassent la gueule : je suis désormais un chat et je dors toute la journée, je ne fais rien d’autres que regarder des reels entre deux siestes, j’ai laissé tomber mon travail d’illustratrice, à quoi bon de toute façon ?

Ma seule activité professionnelle consiste à me rendre à l’école où je suis engagée, donner mes cours dans une purée de pois, j’ai l’impression de faire semblant et de jouer un rôle, je rentre et je dors.


En voyant la larve qu’est devenue sa meuf, mon mec me colle la switch entre les mains et me télécharge Stardew Valley, un jeu de gestion de ferme.
C’est la première fois depuis longtemps que je FAIS un truc qui n’est pas obligatoire (je suis obligée de donner cours, j’ai signé un contrat)

Le fait de planter des navets pendant des dizaines d’heures semble faire repartir ma machine interne et je me remet en route.
Les antidepresseurs commencent à faire effet et je ne suis plus envahie par des vagues de tristesse qui me terrassaient et m’envoyaient direct au lit pour la journée.

Je prends 10 kilos avec l’inactivité et les médocs : je n’aime pas mon nouveau corps mais je commence à assumer l’idée que je suis désormais une femme avec un corps d’adulte et qu’il est beau ainsi avec son vécu et ses marques.

Octobre 2022, je n’ai pas de travail actuellement car j’ai tout rejeté en septembre et en arrivant dans mon nouvel atelier, je me force à démarcher et prospecter de nouveaux clients, je refais mon portfolio, je m’occupe enfin de mon site, j’envoie des mails, je réponds à des appels à projet, j’accepte des marchés de noël et prépare du merch pour la fin d’année : la machine est repartie.

Aujourd’hui, on est début avril 2023, je prends sporadiquement mes antidepresseurs, je pense qu’ils ne serevnt plus à rien. Je reviens d’un mois en Islande où j’ai été invitée pour une résidence artistique sur un voilier, j’ai peint et rempli un carnet de voyage, fait le tour de l'île en van avec mon copain.
J’ai pris seule l’avion et j’ai vécu avec des inconnus pendant deux semaines sans partir en crise de larmes parce qu’on m'avait abandonnée seule dans un bar (ce qui aurait été impossible il y a même pas un an)
Je suis beaucoup plus tranquille, les vagues de tristesse et d’angoisse passent, je les vis et elle ne me font plus mal.

Je suis sur les illustrations de 2 dinos livres, j’ai un projet d’exposition à préparer, des images plein la tête à peindre, des projets jusqu’à septembre, je parle avec des gens dans la rue, je m’affirme, j’envoie chier les personnes qui me font du mal et je me sens bien.

J’ai envie de prendre un rendez-vous avec la psy juste pour recréer un lien avec la Clémence d’il y a un an et me rendre compte du chemin parcouru.


En juillet, lorsque la psy a diagnostiqué la dépression, elle a parlé de dépression “modérée” et qu’il existait des gens qui ne pouvaient même plus se lever.
Quand je vois les dégâts qu’une dépression modérée a eu sur ma vie, mon entourage et mon travail, le temps qu’il a fallu pour m’en rendre compte et pour soigner ça, l’argent investi dans cette rémission (oui bah à 50€ la séance de psy, une fois par semaine, ça en fait des figurines schleich (ce sont les meilleurs figurines)), je suis contente d’y être allée à ce moment et j’encourage toute personne qui ressentent ces symptômes ci à consulter en urgence: manque de motivation, fatigue extrême, fuite des obligations, envie de mourir, crises de larmes et journées au lit

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